Souvenons-nous! Le 30 juin 1960, le Président Joseph KASA-VUBU proclame la naissance de la "République du Congo".
Texte complet de la proclamation de la naissance de la "République du Congo"
Discours du Président de la République M. Joseph KASA-VUBU
Excellences, mes chers compatriotes,
Au moment solennel
où la République
du Congo se présente
au monde et à
l'Histoire, pleinement indépendante et
souveraine, au moment
où nous ressentons intensément le
caractère irrévocable et définitif du pas que nous franchissons,
nous ne pouvons pas nous empêcher
de mesurer la
gravité de nos responsabilités et,
dans une
attitude de profonde humilité, de demander à Dieu qu' il
protège notre peuple et qu'il éclaire tous ses dirigeants.
Avant toute chose, je voudrais exprimer ici une émotion, la reconnaissance que
nous ressentons envers
tous ces artisans obscurs ou
héroïques de l'émancipation nationale, et tous ceux qui, partout sur notre immense
territoire, ont donné
sans compter leurs
forces, leurs privations,
leurs souffrances et même leur vie pour que se réalise enfin leur rêve
audacieux d'un Congo libre et indépendant.
(Applaudissements.)
Je pense à
ces travailleurs des chantiers, des usines, à ces agriculteurs de nos plaines
et de nos vallées, à ces intellectuels aussi, à tous ceux, jeunes ou vieux, qui
ont senti monter dans leur cœur un irrésistible idéal de liberté
et qui, quoi
qu'il put arriver,
ont su rester
fidèles à cet
idéal et ont
su l'accomplir. Je pense à nos femmes aussi qui, sans faiblir
un seul instant, ont su réconforter leurs fils, leurs époux dans leurs luttes
magnifiques et souvent même, se trouver à leurs côtés au plus près du combat.
À vous toutes et à vous tous, artisans incomparables de la grandeur de
Notre patrie, le Congo Indépendant que
vous avez créé
vous dit avec
émotion sa gratitude
infinie et vous assure
solennellement que jamais vous ne serez oubliés. Tournons-nous maintenant vers
l'avenir.
L'aube de l’indépendance se
lève sur un
pays dont la
structure économique est remarquable, bien
équilibrée et solidement
unifiée. Mais l'état
d'inachèvement de la conscience
nationale parmi les
populations a suscité
certaines alarmes que
je voudrais dissiper aujourd'hui,
en rappelant tous
les progrès qui ont déjà
été accomplis en ce domaine
et qui sont les plus sûrs garants des étapes qui restent à parcourir.
Que de différences,
en effet, lors
de la fondation
de notre pays,
entre des populations que tout
contribuait à maintenir
écartées les unes
des autres :
sans souligner les diversités de langues, de coutumes ou de
structures sociales, rappelons simplement les distances énormes
qui nous séparaient
et le manque
de moyens modernes
de communication de la
fin du siècle
passé. Pour se
reconnaître, il a
fallu se rencontrer.
Bon nombre de populations vivant aux confins de ce vaste pays se sentaient
peu proches les unes des autres. Vous avez bien voulu rappeler, Sire, combien
le progrès des moyens de
déplacement contribua heureusement
à enserrer le pays dans
un réseau d'échanges qui servit
aussi, et grandement,
à rapprocher les
hommes.
Le développement économique, de son
coté, amena la création de cités de travailleurs et de centres où les ressortissants
des différentes ethnies apprirent à vivre ensemble, à mieux s'apprécier et où, insensiblement, une
certaine osmose s'opéra.
Les échanges se
multipliant, les régions
devinrent petit à petit complémentaires les unes des autres et renforcèrent
ainsi leur collaboration. Le
développement de l'instruction, la création et
la diffusion des journaux
et périodiques, la
multiplication des postes
de radio, tout
cela contribua à la naissance dans
les villes d'abord,
dans les milieux
ruraux ensuite, d'une
opinion publique d'où, petit
à petit, se dégagèrent
les éléments d'une
véritable conscience nationale.
La Belgique a
eu alors la
sagesse de ne
pas s'opposer au
courant de l'histoire
et, comprenant la grandeur de l'idéal de la liberté qui anime tous les
cœurs congolais, elle a su, fait sans
précèdent dans l'histoire
d'une colonisation pacifique,
faire passer directement et
sans transition notre
pays de la
domination étrangère à
l'indépendance, dans la pleine souveraineté nationale. (Applaudissements.)
Mais, si nous
pouvons nous réjouir
de cette décision,
nous ne devons
pas oublier que c'est
à nous désormais
à prendre le
relais et à rassembler les
matériaux de notre
unité nationale, à construire notre nation dans l'union et dans la
solidarité.
Nous disposons pour
cela d'un large
éventail de moyens,
mais il faudra
que nous les utilisions avec sagesse, sans hâte ni
lenteur, avec le souci de s'adapter harmonieusement au rythme normal des
choses, sans essouffler les populations par une marche trop rapide qui les
laisserait hors d'haleine sur le bord de la route, mais sans se complaire non
plus dans une admiration béate de ce qui est déjà fait.
La conscience nationale
pousse depuis longtemps les populations
congolaises vers plus
de solidarité :
nous aurons à
favoriser plus que jamais ce mouvement de rapprochement national.
Un rôle tout
spécial sera dévolu,
dans cette recherche
d'une plus grande
cohésion nationale, aux institutions
centrales du pays
et surtout à
l'action des Chambres législatives. Certains d'entre nous,
Messieurs les Sénateurs et Messieurs les Députés, ont pour la
première fois, sans
doute, côtoyé des
élus venant d'autres
provinces.
Grande a été leur surprise de
constater que votre idéal et vos préoccupations étaient si proches les uns des
autres. J'ai la conviction que vous ferez de ces assises le véritable creuset
d'une conscience nationale toujours
plus développée.
Nous saurons également,
dans tout le pays,
développer l'assimilation de
ce que quatre-vingts
ans de contact
avec l'Occident nous a apporté de
bien : la langue, qui est l'indispensable outil de l'harmonisation de nos rapports,
la législation qui, insensiblement, a influencé sur l'évolution de nos coutumes
diverses et les
a lentement rapprochées
et, enfin et
surtout, la culture.
Une affinité fondamentale de
culture rapproche déjà
tous les Bantous,
aussi le contact
de la civilisation chrétienne et
les racines que cette civilisation a poussé en nous permettront aux sangs
anciens revivifiés de donner à nos manifestations culturelles une originalité
et un éclat tout
particulier. Nous aurons
à cœur de
favoriser l'éclosion de
cette culture nationale et
d'aider toutes les couches de la population à en percevoir le message et à en approfondir la
portée. Nous aurons
là une mission
essentielle à remplir,
car la culture sera le véritable ciment de la
nation.
Cette recherche, ainsi
que la mise
en place des
matériaux destinés à
notre unité nationale, doit
devenir la préoccupation dominante de tous. Aucun habitant de ce pays ne peut
se refuser de participer à cette œuvre capitale. Nous saurons pour cela, dans
ce vaste chantier de quatorze millions d'hommes qui est notre pays, éclairer et
guider tous ceux qui y œuvrent dans l'enthousiasme.
C'est cette communauté d'efforts, de peines et de travail qui achèvera le
plus sûrement d'unir tous les Congolais en une grande, seule et solide nation.
Nous montrerons ainsi au monde, par nos actes, que nous sommes dignes de la
confiance que le
peuple a placée
en nous, et que de
nombreux pays nous témoignent déjà. Nous ne les décevrons
pas. (Applaudissements.)
Sire,
La présence de votre Auguste Majesté aux cérémonies de ce jour mémorable
constitue un éclatant et nouveau témoignage de Votre sollicitude pour toutes
ces populations que vous avez aimées et protégées. Elles sont heureuses de pouvoir
dire aujourd'hui à la fois leur reconnaissance pour les bienfaits que Vous et
Vos illustres prédécesseurs leur avez prodigués, et
leur joie pour
la compréhension dans
laquelle Vous avez
rencontré leurs aspirations.
Elles ont reçu Votre message d'amitié avec tout le respect et la ferveur
dont elles Vous entourent et garderont
longtemps dans leur
cœur les paroles
que Vous venez
de leur adresser en cette heure émouvante.
Elles sauront apprécier
tout le prix
de l'amitié que
la Belgique leur
offre et elles s'engageront avec enthousiasme dans la
voie d'une collaboration sincère.
Messieurs les Représentants des Pays Étrangers,
Vous avez bien
voulu partager nos
joies et vous
nous avez fait
l'honneur de venir nombreux célébrer
avec nous ces
journées historiques. Aussi
des relations d'amitié seront-elles faciles
à nouer demain
entre notre pays
et chacun des
États que Vous représentez.
Vous qui voyez autour de vous l'immense enthousiasme qui s'empare de toute
la Nation, vous qui sentez
notre désir de
réussir et de
bien faire, je
vous demande de
faire connaître au monde
cette image pleine
d'espoir que vous
emporterez du Congo,
et qui est sa vraie image.
Je proclame, au nom de la Nation, la naissance de la République du Congo.
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